Un peu moins de 7 jours de navigation, un peu changeante…
Nous avons quitté le Vanuatu sous le soleil et sous généker.
Puis ce fut la grisaille et la mer qui gonfle, enfin nous contournons la pointe Sud Est des îles de Papouasie dans un venturi avec des rafales à plus de 35 nœuds qui nous invite à prendre le 3ème ris dans la Grand Voile, ce qui ne nous est pas arrivé depuis bien longtemps…
Je vais en profiter pour me coincer le dos, et c’est donc un peu cassé qu’on va se trouver un bel abri dans les toutes premières îles des Louisiades.
Repos.
Il me faudra 3 jours pour retrouver mon dos et pendant ce temps là, Maï et les enfants vont commencer les premiers contacts avec les papous.
Ca fait drôle de dire « les premiers contacts avec les papous », tout de suite on imagine les derniers explorateurs en terra incognita. Ce fameux mot « papou » est tellement chargé d’images et de fantasmes du bout du monde.
Ne nous emballons pas, nous ne sommes pas bien loin de l’Australie et les papous des îles ont l’habitude de voir passer quelques voiliers de temps en temps, à la saison…
Nous sommes un peu en avance, c’est donc encore un mouillage désert comme on les aime…
Ici, ça va se faire tout doucement.
Pendant que je reste à bord, dos bloqué, Maï, qui est allée à terre avec les enfants, me raconte que c’est un peu différent du Vanuatu, personne ne l’aborde, personne ne vient l’accueillir, ne vient vers elle.
Ce n’est qu’après s’être posée un bon petit temps sur la plage que les gens se sont approchés.
Peu à peu, les liens se sont mis en place, visites des pirogues, visites à terre, trocs.
C’est important ici, le troc.
Nous avons franchement ressenti qu’il fallait convenir d’échanges plutôt que de vouloir faire un cadeau.
Ils sont très preneurs d’hameçons, de fringues, de chaussures, de petites mèches à perceuse pour faire leurs colliers, et bien-sûr de riz, de sucre, de lait…
Bien-sûr, nous avons commencé par rendre visite à l’instituteur dans sa classe unique tous niveaux
Puis nous avons rencontré James, qui va nous expliquer comment ils font leurs fameux colliers à base de la nacre des coquillages, longuement poncée, découpée, percée avec cette machine en bois à volant d’inertie d’un autre siècle
Ces colliers (les baggies) sont la base des échanges, c’est la monnaie locale.
Ici, au fin fond des Louisiades, il n’y a pas d’argent. Tout se fait par échanges.
Pour les grosses transactions, ils utilisent les « stones axe », ces pierres dures et précieusement polies qui sont, à l’origine, la lame de la hache.
Cette pierre, montée sur son manche, rappelle bien ses origines ancestrales
Seule la pierre est monnaie d’échange, de grande valeur, mais en fait, on comprend que chacune de ces pierres est propriété inaliénable d’une personne. Quand cette personne confie cette pierre à quelqu’un en échange d’un service, c’est un peu comme un crédit qu’il ouvre. Il récupérera cette même pierre, quand il rendra à son tour un service, à la même personne ou encore à une autre qui serait en débit avec la dite personne… Bon, je sais pas si je me fais comprendre mais c’est assez élaboré…
On a ainsi suivi le « paiement » de la location d’une pirogue à voile :
Pour un mois de location, le propriétaire est venu chercher son règlement :
- 6 stone axes (les fameuses pierres)
- 1 cochon
- 2 grosses marmites (en terre cuite) de nourritures prêtes à emporter
- 1 corbeille avec vaisselle et linge
Nous avons suivi la préparation de la grosse bouffe qui faisait partie de l’échange
De notre coté, nous avons échangé notre vieux génois que nous gardions depuis l’équateur (2 ans et demi déjà).
Nous savions qu’il fallait attendre la fin de Pacifique pour retrouver un pays où les pirogues naviguent à la voile. Nous gardions cette voile dans l’espoir de faire un heureux.
Ce fut fait en Papouasie.
Pays des « Sailing Canot », pirogues à balancier prao
C'est-à-dire qu’il n’y a pas un avant et un arrière : le balancier est toujours au vent et la pirogue ne vire pas pour remonter au vent mais elle s’arrête pour repartir dans l’autre sens.
Vous imaginez bien que ça, les enfants, ça les intéresse beaucoup.
Donc en échange de notre voile, car il fallait un échange, Damien, le seul propriétaire d’un grand sailing canot du village, nous a organisé une balade sur le petit sailing canot pour que Paco et Marin comprennent comment ça marche...
Le « Sailing Canots » est fondamental pour ces gens des îles qui n’ont pas d’argent pour l’essence et les moteurs, il participe à l’âme de cette région d’une autre planète.
Et puis, Raphaël nous a parlé du « ségo », une farine tirée du cœur d’un arbre. Le pays où l’on mange les arbres, il existe, c’est ici.
D’abord on se plonge dans une belle forêt
Voici cet immense palmier
Et voici la recette :
Attendre 15 ans pour obtenir un arbre de belle taille
Couper l’arbre
Ouvrir le tronc en écartant les écorces de chaque côté
Battre le bois à l’aide d’un bois bien aiguisé à son extrémité
Bien-sûr Paco n’a pas pu s’empêcher d’essayer
En réglant son geste au millimètre, débiter le bois en fins copeaux
Puis amener la sciure obtenue, à proximité d’une rigole faite à base des immenses palmes
Presser et malaxer fortement la sciure de l’arbre avec de l’eau afin d’extraire le jus de l’arbre filtré par un linge
Le jus s’écoule dans une rigole horizontale et fermée appelée canot
Laisser reposer 1/2heure
Après sédimentation de la poudre d’arbre, enlever l’eau,
Découper le dépôt en bloc d’1 kg environ
Faire sécher au feu de bois une petite heure, ( pour le feu de bois, si pas d’allumettes, frotter 2 bois l’un contre l’autre pour démarrer le feu)
Emballer dans les feuilles de palmes préalablement passées au feu pour leur donner souplesse et résistance
Attacher 2 par 2 pour faciliter le transport
Puis stocker cette farine jusqu’à un an sous la toiture de votre case
Pour consommer, mettre en poudre votre brique de ségo
Mélanger avec de l’eau ou du lait de coco et faire cuire au clay pot (marmite terre cuite)
Excellent !
Bon, je vous ennuie avec mes histoires, mais ça nous a tellement passionné cette histoire, qu'on n'a pas pu s'empêcher de vous raconter ça.
Ainsi, nous avons passé 10 jours dans ce village, de découvertes en découvertes, d’une culture aux antipodes de la nôtre, d’une gentillesse et d’une simplicité merveilleuse.
Difficile d’être plus différents et pourtant d’être si proches lors de cette rencontre.
Les papous nous ont emmenés dans leur monde, nous les avons bien-sûr invités dans le nôtre.
Bel échange encore une fois
En plus il y avait de jolies collines bien dégagées et faciles d’accès pour que Paco fasse ses premiers essais de vol plané télécommandé avec sa première maquette d’avion sous l’œil intéressé des jeunes
Tous les éléments réunis pour faire une bien belle escale
Puis il a fallu partir…
Toujours cette date fatidique du 15 juillet à Bali ! Rappelez-vous le jeu…
Nous avons encore un fois préféré ne faire qu’une escale la plus longue possible plutôt que de butiner d’île en île le long de cet archipel qui mériterait du temps.
Nous avons donc traversé tout le reste des Louisiades d’un coup, longeant les villages
croisant les Sailing canot
3 jours de nav plus loin, nous atteignons Port Moresby, la capitale.
Changement de décor, nous ne sommes plus du tout dans le même pays, d’ailleurs aucun papou rencontré dans les Louisiades n’est allé à Port Moresby, faute de moyens…
La réputation d’insécurité nous oblige à mouiller au Yacht club, que dis-je, au Royal Papou Yacht Club.
29 gardiens (papous) se relaient pour sécuriser le site, au moins autant de serveurs, cuisiniers, réceptionnistes, jardiniers, tous papous.
Et encore autant de blancs lourdement attablés au resto, au bar ou vautrés dans le lounge…
Les « lourds » comme on s’appelle désormais, nous les blancs (référence au film « les dieux sont tombés sur la tête 2 »)
Accueil liché, papier glacé, ambiance hall d’aéroport…
Un mot de cette Papouasie Nouvelle Guinée là, celle des mines d’or…
Tout est là, nous sommes sur le comptoir d’approvisionnement logistique des exploitations du pays. Tout l’argent transite ici.
Schéma classique : les grosses exploitations minières sont financées par les occidentaux, la classe politique et son proche entourage sont gavés et le reste de la population est laissée pour compte.
On continue…On change rien…
Ceux qui sont restés au village s’en sortent en mangeant les arbres, ne connaissent pas la couleur de l’argent et ne sont jamais allés en ville.
Ceux qui tentent leur chance aux abords des villes ont quelques rancoeurs aux contacts de toute cette richesse inaccessible.
Normal que ça dérape parfois dans la délinquance.
Les « lourds » vivent donc dans leurs ghettos de lourds, en résidences surveillées, entourées de barbelés et protégées par des armées de vigiles.
On ne va pas traîner ici.
On est là pour récupérer notre permis de croisière et nos visas pour l’Indonésie, quelques appros, une pièce pour le régulateur d’allure à faire tourner, internet, et surtout l’expédition postale des derniers devoirs du Cned !
Ca, c’est un grand moment ! dernier colis cned ! ben oui, on en parle pas trop mais tous les matins, évidemment, c’était l’ambiance scolaire, et parfois l’ambiance « barricademai68chégevararépressiondictaturepunition » à bord…
Ce soir, pour fêter ça, devinez quoi ? on s’est fait péter un resto au Yacht Club, comme de bons gros lourds que nous sommes…
Demain, on espère bien hisser les voiles pour la dernière grande nav en famille de ce voyage :
Cap sur l’Indonésie en commençant par Timor : 1500 milles, entre 10 et 15 jours en fonction du vent.
J’essaie de mettre tout ça en ligne avant d’appareiller
Au fait, n’oubliez pas vendredi soir ! le 10 juin : Yathalassa !
On compte sur vous pour faire exploser l’audimat, histoire d’en remettre une couche avec les papous à la rentrée…
Bonsoir, et….
Bon vent !
dodo
Ecole de croisière du Tiloune - Réunion Maurice à la voile -